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Pour un renouveau de la communication politique

Tribune par Jean-Philippe Steeger et Emilie Grau

Les citoyen.nes français.es sont appelé.es aux urnes. Alors que la voix des extrêmes assourdit le débat politique, l’espace de conversation démocratique semble être pollué. Les urgences permanentes, les narratifs de déclin, et la normalisation de la violence dans l’espace public ont laissé leurs traces. Plus que jamais, la communication politique en France semble clivée, militarisée et autoritaire. Au-delà des extrêmes politiques, elle nous pousse dans l’extrême émotionnel. Dans ce contexte, comment la communication politique pourrait devenir une source de refertilisation, de réconciliation, et de régénération de la culture politique française ? Comment pouvons-nous créer les bonnes conditions d’écoute, de compréhension mutuelle, nécessaires pour faire face aux défis actuels et pour façonner un avenir dans lequel nous pouvons prospérer et nous épanouir - au lieu de survivre dans une guerre de tous contre tous ?

Nous écrivons cette tribune parce que nous voulons inspirer chacun à faire ce qu’il y a à faire, pour ne pas être paralysés par la peur : se soustraire à l’emprise d’agendas opportunistes de certains média et de certains profils psychopathiques qui divisent pour mieux régner, dans la vie politique. Nous souhaitons éviter que nos familles et nos cercles se déchirent. Nous voulons contrer la violence des clivages et la polarisation des discours. Nous sommes déterminés à agir pour l’avenir des générations futures face aux perspectives de guerre, aux urgences climatiques, et à une société incapable d’assurer les conditions d’une vie en prospérité, paix, santé et joie.  

Nous croyons fermement au potentiel humain, dans sa capacité de croître, de comprendre, de dépasser les limites de ses croyances culturelles, collectives et intergénérationnelles toxiques. Nous ne voulons pas convaincre, nous ne savons pas mieux que les autres :nous voulons oser poser les bonnes questions, pour aller au-delà des clivages, des perspectives déprimantes, des choix sans choix véritable. Nous voulons un renouveau de la culture de la communication politique.

Où en sommes-nous aujourd’hui quant à la communication politique actuelle ? 

Nous avons besoin de nommer les choses pour les rendre visibles et les accueillir, avant d'identifier à quoi elles nous ont servi jusque-là et consentir de manière collective à les transformer. Nous posons cette question de communication, parce que nous croyons qu’une communication fertile est la précondition d’une démocratie. Si nous ne pouvons pas nous écouter, apprendre les uns des autres, et formuler des perspectives communes qui dépassent nos égos, nous n’irons pas loin. Si nous regardons la sphère politique et médiatique, nous pouvons constater avec lucidité une image d’une France fracturée, en déclin, et presque schizophrène, prise entre les perspectives d’extrême droite, de néolibéralisme, et d’extrême gauche. 

La culture de communication, et particulièrement de communication politique, semble être un terrain de guerre et de manipulation. Les narratifs et le langage nous enferment dans un horizon hostile : stratégie d’influence, tactiques, groupes cibles, retournement de vestes, victoire de débat - comme si la démocratie ne serait précisément pas un espace, où la pluralité des points de vue constitue la richesse. Les “bonnes” pratiques y sont de savoir mieux que les autres, de convaincre, d'affaiblir l'adversaire, de manipuler l’opinion publique et d'utiliser la technique de la sidération. Ce n’est pas une logique démocratique. 

Cependant, nous pensons que cette image de la France fracturée n’est qu’une image partielle de la réalité, façonnée par des intérêts de court-terme dans le monde de la communication politique. Il semble y avoir un grand clivage entre la communication à propos de la France et les réalités subjectives des citoyens – c’est potentiellement la source de colère, de frustration, et même de dépression collective que nous voyons aujourd’hui. Crucialement, nous manquons aujourd’hui de narratifs communs constructifs, de capacité d’écoute, et de cohérence. Pour cette raison, nous proposons trois voies à explorer individuellement et collectivement pour guérir les fractures qui frappent quotidiennement la communication politique en France.

 

1. Refertilisation : cultiver le sol de notre communication

“Si l’homme tient à sa survie en tant qu’espèce, il lui faut apprendre à s’émanciper des grands paradigmes qui le guident depuis les Lumières.” - Bruno Latour


Osons-nous réellement écouter ce qu’il y a derrière les affirmations politiques ?
Si nous pensons par exemple aux narratifs de haine de l’extrême droite – que se cache-t-il derrière ? Peur de l’étranger, retrait sur soi-même, paroles de haine – que répondons-nous ? Les stratégies d’ignorance, de marginalisation, et d’insultes ont visiblement échoué. Elles ont échoué parce que ces stratégies alimentent les traumatismes multiples qui nourrissent les narratifs de l’extrême droite. Plus profondément, elles ont échoué parce qu’elles sont ancrées dans une compréhension purement instrumentale et mécanique de la communication. 

Si nous, les actifs en communication politique, écoutons les électeurs du RN, nous pouvons entendre ce qui les motive : déchirement des communautés locales, déconnexion de leur propre histoire, méfiance envers celles et ceux qui disent savoir mieux, climat économique difficile. La réalité douloureuse est que la montée du RN (et d’extrême-droite en Europe) a été nourrie par notre manque d’écoute des peurs des citoyens, des salariés, retraités et entrepreneurs ; par nos marginalisations, par notre posture de supériorité dans notre communication. Peut-être y a-t-il un fond de vérité dans ce que les extrêmes communiquent, que nous n’écoutons pas, plus affairés à "crier au loup" qu'à nous interroger sur les racines des symptômes.

Si nous voulons refertiliser le terreau culturel, nous devons aller aux racines des problèmes – les sources des fractures que nous vivons aujourd’hui : les narratifs de séparation, notamment la supériorité de la vie urbaine, la supériorité des médias sur nos facultés de juger ce qui est bon pour nous, la supériorité de la culture française (exceptionnalisme français), la supériorité de notre démocratie, la supériorité de notre histoire nommée “éclairée”, la supériorité aussi de notre pensée sur le corps, sur la nature, sur les cultures que nous appelons « primitives ». Par ces logiques, nous nourrissons un appauvrissement de notre communication et culture. 

Ce sont ces racines qui sont à l’origine de nos maux d’aujourd’hui, qui alimentent eux-mêmes la fracture sociale actuelle. Pour fertiliser la communication politique, nous proposons ces éléments de réflexion :


Approfondir notre compréhension pour une transformation culturelle

  1. Les médias : vers une information intégrale

    • La distorsion de la réalité par certains médias crée une perception biaisée. Nous avons besoin d’un écosystème d’information pluraliste, qui inclut des média indépendants, pour tenir compte de la complexité du monde.
    • L'idée que seule l'autorité détient la vérité, et la stigmatisation de toute dissidence en tant que complotisme, renforce cette distorsion. La communication politique peut s’inspirer, par exemple, par la démarche anthropologique pour tenir compte de narratifs, d’histoires, de pratiques diverses et complémentaires.
    • Les algorithmes des grandes plateformes influencent notre accès à l'information, limitant notre capacité à découvrir des perspectives diversifiées. La communication politique joue un rôle clé pour faire communiquer ces perspectives entre elles. Par exemple entre les groupes cibles d’une politique publique et ceux qui la façonnent.

  2. La justice : restaurer la confiance

    • La perception d'une justice inefficace, exacerbée par la gestion de crises comme celle du Covid-19, érode la confiance publique .Ces crises peuvent être des enjeux traumatiques à niveau collectif - contribuant ainsi aux extrémismes. La communication politique doit pouvoir donner un espace aux réalités émotionnelles et contribuer à soigner les divisions passées. Par exemple, créer des espaces pour “digérer” les expériences du Covid. 
    • Il est crucial de restaurer l'intégrité et l'efficacité du système judiciaire pour renforcer la cohésion sociale. La communication politique peut donner la parole et de la visibilité à ses victimes. 
  1. Climat de méfiance et de peur : vers un environnement sécurisant

    • Des lois perçues comme liberticides et l'utilisation de la peur pour justifier des mesures extrêmes créent un climat de méfiance. La communication politique doit trouver des narratifs et un langage d’espoir au lieu d’alimenter la peur existentielle en parlant de la “guerre” dans tous les contextes. 
    • Il est important de promouvoir une gouvernance transparente et sensible aux préoccupations des citoyens. Le rôle de la communication politique est de servir de moyen d’écoute et d’apprentissage mutuel, et non d’outil de domination.

  2. Réévaluer notre approche des enjeux globaux

    • Les actions perçues comme une fusion inquiétante des pouvoirs économiques et politiques doivent être examinées à la lumière de la démocratie et de la transparence. La communication politique doit remettre en contexte les
      développements actuels, notamment face aux menaces d’une renaissance d'extrême droite à niveau mondial.
    • Encourager une réflexion critique sur ces dynamiques peut aider à renforcer notre engagement envers une gouvernance plus équitable .La communication politique peut cultiver notre capacité de participer aux processus de gouvernance et nous réintéresser à la vie de la cité.

Favoriser une communication inclusive et empathique.

 Pour réensemencer notre terreau culturel, nous devons réévaluer notre manière de communiquer et d'écouter. Il s'agit d'adopter une approche inclusive, qui reconnaît les peurs et les préoccupations de chacun, et qui valorise la diversité des expériences et des perspectives. C'est en cultivant une communication basée sur l'empathie et le respect que nous pourrons surmonter les divisions et avancer ensemble vers un avenir plus harmonieux.

2. Réconciliation: la recherche de complémentarité politique

“La paix est l’unité de la pluralité” - Emmanuel Lewinas


Si nous constatons que le terreau de notre communication est pollué par le fatalisme et les traumatismes passés, par l’ignorance du présent, et par l’incapacité de s’écouter pour aller de l’avant - comment alors apprendre de nouveau à s’écouter, à s’entendre, à se voir de nouveau au-delà des labels qui divisent, qui réduisent, qui nous enferment dans une sécurité spatio-temporelle non durable? Nous sommes convaincus qu’une grande majorité de personnes est à la recherche de compréhension mutuelle, de paix, de vie en communautés vivantes, et de nature saine qui nous nourrit et nous inspire au quotidien. 

Alors que notre culture cartésienne est excessivement orientée vers l’extérieur, vers la supériorité de l’esprit et des modes de pensées linéaires, il est temps de faire de la place pour des espaces d’écoute profonde, qui interrogent aussi la dimension émotionnelle, somatique et relationnelle de notre existence. Il est temps de créer des espaces de communication où chacun d’entre nous peut être soi-même, non pas dans une démarche individualiste et égocentrique, mais dans le respect de nos individualités, nourries de perspectives diverses plutôt que de discours pré-mâchés par les médias.

La France a besoin d’un plan de réconciliation - un plan qui vise à redynamiser les communautés locales, et à redonner visibilité aux perspectives périphériques. Cette réconciliation ne peut connaître de partisanat politique - car elle doit partir du constat que chaque perspective à une valeur à ajouter au tissu qu’est notre culture vivante. C’est par une posture d’écoute profonde au-delà des préjugés et des opinions que nous aurons la chance de comprendre le “pourquoi” derrière les expressions - parfois violentes - que nous voyons dans la communication politique d’aujourd’hui. C’est reconnaître que la vérité que nous portons en nous est une vérité qui nous connecte à celle des autres. Afin de permettre des échanges véritables, nous proposons de reconsidérer l’espace de communication politique afin de créer les conditions d’une réconciliation holistique.

Deux voies de réconciliation 

1. Redynamiser les communautés locales

La  polarisation sur les réseaux sociaux, la disparition de lieux de rencontre, la montée pandémique des taux de solitude et de dépressions sont des symptômes d’un manque d'appartenance qui est un besoin humain fondamental. Les multiples acteurs du terrain, que ce soient des entreprises, municipalités, où associations locales, devraient regarder au-delà de leur domaine d’action pour comprendre l’écosystème local et régional qui rend leur existence possible.

Quels besoins de communication existent ici? Comment pouvons-nous créer des espaces d’écoute, d’échange, de libération de potentiel ? Nous sommes convaincus que les acteurs locaux connaissent le mieux les besoins locaux - donner de l' espace aux membres des communautés locales pour formuler les solutions aux défis locaux peut déclencher une série de conséquences fertiles. Au-delà, il s’agit de rassembler, sans agenda prédéfini, pour envisager, imaginer et laisser émerger les futurs possibles pour une localité, une communauté. C’est dans ces lieux du possible que les clivages souvent cessent d’être transcendés par les rêves communs. 

2. Redonner de la visibilité aux perspectives périphériques 

Écouter les perspectives en marge est souvent source de sagesse. C’est ici que nous pouvons commencer à apprendre les problèmes et logiques du “centre”. C’est dans les villages que nous allons comprendre les manques de la vie urbaine - et l’inverse. C’est dans les banlieues que nous allons comprendre le défi de la promesse du “moteur social”. C’est chez les oubliés des politiques publiques que nous allons comprendre comment réellement aider les gens. C’est aussi par l’écoute d’autres espèces que les humains que nous allons pouvoir relever les défis du changement climatique et de biodiversité, tout en innovant de nouveaux modèles économiques.

Quelles perspectives manquent dans le discours dans cet espace de communication dans lequel nous opérons? Quelles sagesses pourraient enrichir notre débat? Quelles combinaisons de perspectives permettront d’aller au-delà des clivages? Ce n’est que par un dialogue sincère et serein entre les perspectives complémentaires que nous allons pouvoir trouver les chemins vers un avenir dans lequel nous pouvons vivre en paix, joie, et santé.


3. Régénération: un nouveau potentiel du monde politique

“Il faut prendre soin de nos manières de raconter car c'est le récit qui rend intelligible, pas la bonne définition.” - Isabelle Stengers


Il est temps de prendre notre responsabilité : pour aujourd’hui et pour demain,  pour les générations futures, en tant que citoyens, au sein de nos familles et cercles d’amis, dans nos entreprises et organisations, en tant que membres de nos communautés locales et de nos bio-régions, en tant qu’être vivant habitant la terre. Les chemins à poursuivre incluent le rétablissement de la confiance, la mobilisation et la connexion des communautés où encore, le dialogue et l’échange entre ville et ruralité. Il s’agit d’accompagner la mise en mouvement vers un “nouveau rêve” au-delà des promesses et fractures passées.

En effet, nous pensons que l’ère des manifestes politiques, des promesses utopiques ou au contraire d’une realpolitik souvent faussement pragmatique, sont des vestiges du siècle dernier. La communication politique doit pouvoir rassembler les citoyens autour d’un nouveau rêve à concrétiser pratiquement: ce que ça veut dire d’être vivant, de faire partie d’une communauté, ou d’une localité, d’une région. Redonnons à la politique, son sens étymologique : celui de la vie de la cité. La politique, n’est pas seulement la politique des politiciens. Comment notre rêve collectif permettra-t-il de nous épanouir, de vivre pleinement ? 

C’est à partir d’une imagination profonde qui touche notre être entier que nous aurons l’opportunité de régénérer la culture de communication politique - et la mettre en action par la suite. C’est à partir de cet espace, que nous pourrons comprendre quels formats de forums démocratiques, quels canaux de communication politiques, quelle échelle politique sera la plus fertile afin de contribuer à construire l’avenir que nous voulons concrètement bâtir ensemble.  

Conclusion

Et si la communication ne servait pas qu’à vendre nos intérêts à court-terme? Et si la communication était un élément de fertilisation, de réconciliation et de régénération de la culture sociétale, politique et environnementale ? Osons-nous à nous écouter profondément, à dépasser les traumatismes du passé, à laisser décanter nos émotions, et apprendre à prendre un nouveau chemin - celui d’une régénération de nous-même, de notre communication et de notre politique?

En cultivant un sol fertile pour nos communications, dans nos vies de voisins, de citoyens, de salariés, d’entrepreneurs, de journalistes, en réconciliant nos différences, et en régénérant notre culture politique, nous pouvons transformer notre société et créer un avenir prospère pour tous. Osons écouter, comprendre, et agir ensemble pour un renouveau politique, démocratique et humain.

À propos

Jean-Philippe est une voix passionnée et créative à l'intersection de la communication, du leadership et des politique publiques. Il a fondé et dirigé des organisations pionnières, dont son agence Perspectivist, ManagersForFuture et le Regenerative Communications Collective. Avec Emilie, il a co-fondé la plateforme de communication régénérative re:storied.

Emilie Grau est l'une des principales voix du mouvement slowpreneurship avec Slowpreneurs.com et est co-créatrice de re:storied. Elle a été pionnière d'une approche plus vivante à l'entrepreneuriat et combine son travail de coach slowpreneur avec son expérience en marketing conscient.

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